Artiste associé du Centquatre, Oof, de son vrai nom Jaïs Elalouf, est à la fois organisateur de soirée, DVJ (soit simultanément “DJ audiovisuel” et “Réalisateur DJ”), curateur et collectionneur d’art. De ses vidéos fondées sur des images d’archives en aéronautique à ses reprises des travaux du canadien Norman McLaren, Oof est systématiquement mû par une volonté de synchroniser l’image au son. On s’est entretenu avec lui pour parler de ses travaux, alors qu’il rentrait tout juste d’une tournée en Chine où il livrait des performances audiovisuelles.

The Creators Project : Comment en es-tu arrivé à devenir « DVJ » ?
Oof :
J’ai eu un parcours assez inattendu, en réalité. Etudiant en école de commerce, j’organisais des soirées rock-psyché à Nice, puis je suis rapidement devenu DJ electro résident à Madrid. En 1998, j’ai commencé à représenter en France le label culte Ninja Tune et je faisais les relations de presse de nombreuses majors. L’une d’elles – Universal Jazz – trouvait que j’avais le profil idéal pour m’occuper de la production exécutive d’un album de ré-interprétations des plus grandes B.O. du cinéma français: Cinemix (Carl Craig, Gonzales…). Leur collection de musiques de film "Écoutez le cinéma" de plus de 80 volumes est la plus importante au monde. J’ai donc sélectionné les pépites à faire remixer, et le label m’a demandé de défendre le projet sur scène. J’ai d’abord passé les meilleurs extraits de films où la musique était présente plus de 90 secondes, c’est à dire quasi jamais… Et du coup quand je me suis aperçu que les merveilles d’Ennio Morricone, François De Roubaix, Michel Magne, ou encore Serge Gainsbourg n’étaient même pas dans les films en question, j’ai décidé de défendre ce patrimoine en réalisant petit à petit ces “Cinéclips”, des vidéoclips de films remettant leur musique à égal des images, puis mixer ces DVD entre eux comme un DJ. Je pense malgré moi avoir été le premier en France à avoir été DVJ dès 2003, depuis il y a eu 400 dates aux quatre coins du monde. Pour nombre de réalisateurs, la musique est très secondaire et ils ne se rendent pas compte à quel point elle pourrait magnifier leurs films, ils restent bloqués sur la fiction.


Moi Mua

En parcourant ton site, on voit que tu rassembles de nombreuses œuvres d’art. Le lien entre elles n’est pas toujours évident, qu’est-ce que tu cherches dans une pièce exactement ?
En tant que collectionneur, j’ai toujours eu un faible pour l’esthétique de la fin des années 1960, d’abord la musique, les films puis les pochettes de disque aux couleurs flashy, l’obsession du détail, le mélange improbable de contre-culture, de surréalisme, d’illusion d’optique, d’art nouveau et même d’artisanat. Quand on a commencer à parler d’art psychédélique, les thèmes explorés à travers la Free Press et les affiches sérigraphiées étaient variés mais souvent mystiques. Les artistes étaient désintéressés au point de laisser leur égo de côté en s’abstenant de signer leurs œuvres ou en faisant en sorte que la typographie d’une affiche de concert soit illisible. Cette démarche m’a impressionné par ses messages et un graphisme toujours d’actualité 45 ans plus tard. Cette mode a touché toute la société en 1970, des pubs aux affiches politiques, en passant par la mode ou même les jouets… En fait, les pièces de ma collection peuvent venir des cinq continents et pourraient dater d’il y a 2000 ans (si j’avais les moyens…).

Est-ce qu’il y a des musiciens que tu aimes vraiment mais dont l’univers visuel te déplaît ?
Je n’ai 
pas d’exemple en tête, mais le pire se retrouve dans les clips. Ça me dérange toujours de voir des clips très arty et parfois proches du court-métrage qui pourraient fonctionner avec n’importe quelle musique. Souvent, ils n’ont aucun rapport avec le titre et ce n’est pas synchro, on peut citer le clip “Sun” de Caribou sans grand intérêt ou encore “Frontier Psychatrist” des Avalanches.


Judo

Du coup, tu as un peu la même démarche que Norman McLaren. Comment en es-tu arrivé à te réapproprier ses travaux ?
En 2005, j’étais en tournée en Thaïlande, où j’avais une résidence à Bangkok. Je suis tombé sur un DVD et j’ai cru que c’était des épisodes deLa Linea, que je cherchais d’ailleurs depuis un moment. Mais en réalité, c’était un DVD avec des travaux de McLaren, et c’était une excellente surprise parce que je suis devenu un fervent admirateur de son travail. C’est le plus grand animateur au monde derrière Walt Disney, même s’il est beaucoup moins connu parce que ses œuvres sont plus expérimentales, avec un côté surréaliste à la Dali. Il n’y a jamais de hasard mais six mois plus tard, l’Office National du Film Canadien, m’a demandé de donner une version de toute son oeuvre – de 1933 à 1971, soit 70 films. Il a développé des techniques incroyables, notamment le stop-motion, la peinture sur pellicule, où on entendait vraiment ce qu’on voyait, et comme il le disait si bien : “l’oeil entend, l’oreille voit”. On était faits pour se rencontrer artistiquement !

Qu’est-ce qui vient en premier quand tu travailles ? La musique ou les images ?
Tout dépend de la contrainte qu’on m’impose, plus il y en a, plus le processus créatif doit être transcendé. Si les images provoquent un sentiment joyeux, profond, sombre ou énervé, la musique reflétera ces émotions, il faut aussi avoir des coups de bol et faire de multiples tests. Parfois, j’essaie de faire passer une musique que j’adore au forceps. Si je ne trouve pas de solution, je compose la musique à partir de samples de films, comme sur le film Judo (Zzouf) où le dernier en date "Mua Moi" de Lunivers, un mashup réalisé a partir de 8 longs métrages. De manière générale j’ai eu la chance de jouir d’une certaine liberté que ce soit dans les commandes purement artistiques ou de grandes entreprises comme Disney, Darty ou Thomson. Sur les 11 vidéoclips que j’ai réalisés pour McLaren, j’ai essayé de donner une version moderne de sa musique electro produite à l’origine en grattant la partie son de la bobine de film 35mm.


Selekt the Machine

Par exemple, pour le festival Depayz’arts à l’aérodrome de Melun, on m’a demandé de travailler sur les archives de l’aéronautique, j’ai visionné 500 heures destinées à vendre des moteurs d’avion, des images assez dénués d’intérêt et surtout sans aucun son à exploiter car il n’y avait que des voix off. J’ai gardé une quinzaine de minutes, c’était vraiment un travail monstre. Ces machines m’ont inspiré du Modeselektor, j’ai trouvé de nouvelles techniques de synchro sans aucun dialogue, malgré tout le résultat à été montré aux festivals de Cannes et Clermont-Ferrand. Mais la commande plus récente en 2012 pour la Communauté Européenne et trois universités (La Sorbonne, London Metropolitan et HEC Liège) était encore plus ardue. Il fallait montrer les restructurations d’entreprise sous un angle artistique, j’ai travaillé 3 clips et calé des dialogues milimétrés pour faire passer un message engagé contre l’absurdité du capitalisme. Cela a déclenché une série de films appelés Lay-Ooff pour faire “danser conscient”, ils dénonceront aussi bien les aberrations de la finance, des multinationales, du pétrole, de la mal-bouffe, des pesticides et de tous ces poisons inévitables qui nous entourent au quotidien. Je compte développer ce show à travers un mélange de réalisations préparées et de mapping vidéo avec le logiciel Modul8.


La Poulette

Rendez-vous le 21 septembre au Centre Barbara, soirée gratuite où Oof présentera le show Lay-Ooff et une exposition psyché “1967-1977, une décennie de contestations”.

Source : thecreatorsproject.com